En 2023, la petite ville normande de Canteleu a pris un virage silencieux mais décisif vers une surveillance urbaine plus centralisée. Sans grand fracas médiatique, la municipalité a lancé deux décisions clés : la création d’un centre de supervision urbaine, relié par fibre optique à la police municipale, et un contrat annuel de 3 168 € HT avec l’entreprise SPGO, basée à Deauville. Ce n’est pas une révolution, mais une accumulation de petits gestes — un câble, un contrat, une autorisation en attente — qui, ensemble, redessinent la sécurité de la commune de 10 772 habitants.
Un centre de supervision, pas juste des caméras
La décision DEC-47-23-DST, publiée sur le site de la ville, ne parle pas de caméras. Elle parle de fibre optique. Un câble, précisément, qui relie l’hôtel de ville à la police municipale. Pourquoi ? Parce qu’un système de vidéoprotection moderne ne se mesure pas au nombre d’objectifs, mais à la capacité à traiter les flux en temps réel. Ce centre de supervision, même s’il n’est pas encore visible pour les habitants, est l’âme du nouveau système. Il permettra, un jour, de croiser les images, d’analyser les mouvements, de déclencher des alertes. C’est une infrastructure invisible, mais fondamentale. Comme un nerf spinal pour la sécurité locale.
La question qui se pose : combien de caméras seront installées ? Les documents ne le disent pas. Ce n’est pas un oubli. C’est une stratégie. En France, chaque caméra publique nécessite une autorisation de la Préfecture de la Seine-Maritime, valable cinq ans, selon le Code de la sécurité intérieure. Annoncer un chiffre, c’est ouvrir la porte à des débats publics, à des recours. Ici, on construit d’abord la boîte, on attendra le feu vert avant d’y mettre les lampes.
SPGO, le prestataire discret de Deauville
Le contrat DEC-43-23-DST, lui, est plus concret : 3 168 € HT par an, soit environ 3 800 € TTC, pour la télésurveillance des bâtiments communaux. Un montant modeste, presque anecdotique comparé aux millions dépensés à Rouen. Mais ce n’est pas pour surveiller les rues. C’est pour les écoles, la mairie, les salles sportives, les dépôts de matériel. Une protection ciblée, intelligente. L’entreprise SPGO, spécialisée dans la sécurité et basée à Deauville, ne fait pas de la vidéosurveillance en grand format. Elle fait du sur-mesure. Du fiable. Du discret. Et pour Canteleu, c’est parfait.
La ville n’a pas choisi un géant national. Elle a opté pour un acteur régional, probablement plus réactif, plus à l’écoute. Un choix typique des petites communes qui veulent éviter les contrats trop lourds. Ce n’est pas une économie, c’est une logique de proximité.
Le contexte régional : Rouen, le grand frère
À peine à 10 kilomètres, Rouen prépare une révolution : 137 caméras d’ici fin 2025, gérées par Citeos dans le cadre d’un partenariat de 15 ans lancé en 2010. C’est un système à grande échelle, avec des algorithmes de détection, des écrans en temps réel, des opérateurs 24/7. Un projet coûteux, mais cohérent avec une ville de 110 000 habitants.
Canteleu, elle, ne veut pas copier. Elle veut s’inscrire dans la même dynamique, mais à son échelle. Le centre de supervision n’est pas un clone de celui de Rouen. C’est une version simplifiée, adaptée. Une première étape. Et c’est là que réside la subtilité : la ville ne cherche pas à être la plus surveillée, mais la plus intelligente.
Les ombres : vie privée et autorisations en suspens
La CNIL, garante de la protection des données, a publié des lignes directrices strictes pour les villes qui installent des caméras. Elles doivent être justifiées, proportionnées, et les habitants informés. Rien de tout cela n’est encore visible dans les documents de Canteleu. Pas de notice d’information, pas de délibération sur les zones couvertes, pas de consultation publique. Ce silence est inquiétant — ou rassurant, selon les yeux avec lesquels on regarde.
Le vrai défi ne sera pas technique, mais démocratique. Quand les caméras seront en place, qui décidera de leur utilisation ? Pourquoi une caméra est-elle pointée vers une école et pas vers une rue déserte ? Qui a accès aux images ? Ces questions, la ville ne les a pas encore abordées. Et pourtant, elles sont essentielles.
Et maintenant ? Les prochaines étapes
Le câble est posé. Le contrat est signé. Reste à faire la demande d’autorisation préfectorale — celle qui permettra d’installer les caméras en espace public. C’est la prochaine étape. Sans elle, le centre de supervision reste une boîte vide. La ville devra aussi publier une notice d’information, comme le veut la loi, et peut-être organiser une réunion publique. C’est une obligation légale. Et une opportunité politique.
Si tout se passe bien, les premières caméras pourraient être actives d’ici la fin 2025 — au même moment où Rouen finalise son projet. Canteleu ne sera pas la plus grande, mais elle sera peut-être la plus sage. Une ville qui a choisi de progresser lentement, en respectant les règles, en évitant les excès, en gardant le contrôle.
Frequently Asked Questions
Pourquoi la Ville de Canteleu ne précise-t-elle pas le nombre de caméras ?
Parce que chaque caméra publique en France nécessite une autorisation préfectorale spécifique, valable cinq ans. Annoncer un chiffre avant d’obtenir l’autorisation risquerait de bloquer le projet en cas de contestation. La ville préfère construire l’infrastructure en amont — le centre de supervision et la fibre — avant de dévoiler les emplacements exacts, ce qui permet de rester flexible et conforme à la loi.
Le contrat avec SPGO couvre-t-il la surveillance des rues ?
Non. Le contrat de 3 168 € HT est limité à la télésurveillance des bâtiments communaux : mairie, écoles, gymnases, dépôts. La surveillance des espaces publics n’est pas incluse pour le moment. Elle dépendra de la future autorisation préfectorale et de l’installation des caméras, qui n’ont pas encore été annoncées ni localisées.
Quelle est la différence entre le projet de Canteleu et celui de Rouen ?
Rouen investit dans un système massif, géré par Citeos, avec 137 caméras et une surveillance 24/7. Canteleu opte pour une approche modeste : un centre de supervision centralisé, une fibre pour connecter les services, et un prestataire régional pour protéger les bâtiments clés. C’est une stratégie de sécurité intelligente, pas de surveillance massive.
La CNIL a-t-elle été consultée ?
Les documents publics ne le mentionnent pas. La CNIL exige une évaluation d’impact sur la vie privée avant toute installation de caméras en espace public. Si la ville n’a pas encore publié de notice d’information ou de délibération sur les zones couvertes, cela pourrait constituer un risque juridique. Les habitants n’ont pas encore été informés officiellement.
Quand les caméras seront-elles visibles dans les rues de Canteleu ?
Aucune date n’est officiellement annoncée. Les décisions de 2023 sont des préparations techniques. La prochaine étape est l’autorisation préfectorale, qui peut prendre plusieurs mois. Si tout va bien, les premières caméras pourraient être installées fin 2025, en parallèle avec le projet de Rouen. Mais ce n’est pas garanti.
Pourquoi ce projet ne fait-il pas polémique ?
Parce qu’il est silencieux. Pas de débat public, pas de communiqué de presse, pas de campagne d’information. Les habitants ne savent pas encore qu’un centre de supervision est en construction. Cela évite la polémique, mais aussi la transparence. Pour certains, c’est une gestion pragmatique. Pour d’autres, c’est un manque de démocratie locale.