Le 20 novembre au soir, alors que Paris s’endormait, une bombe politique a explosé dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Pour la première fois dans l’histoire de la Cinquième République, les députés ont rejeté la partie "recettes" du projet de loi de finances pour 2026 — non pas par une légère majorité, mais par un raz-de-marée : 404 voix contre, une seule pour, et 84 abstentions. Ce vote, intervenu après plus de 125 heures de débat, est le plus long jamais enregistré depuis 1958, selon Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics. Et ce n’est pas une simple défaite : c’est un échec systémique, un signal d’alerte rouge pour le gouvernement.
Un rejet sans précédent, un message sans équivoque
L’abstention n’a pas été une erreur. Elle a été une stratégie. Les députés de Renaissance et de Mouvement Démocrate — la majorité présidentielle — ont choisi de ne pas voter. Pas pour protester, mais pour éviter de s’engager dans un combat perdu d’avance. Seul Harold Huwart, député du groupe LIOT, a osé dire oui. "Je veux un budget pour la France", a-t-il lancé, ironique, avant d’ajouter : "Heureusement que le ridicule ne tue pas, on aurait 577 morts à déplorer." Une phrase qui résume l’absurdité de la situation : un texte qui passe au peigne fin, article par article, et qui, au final, est rejeté dans son ensemble.La colère n’était pas répartie équitablement. Le bloc de gauche, de La France Insoumise à Les Républicains, en passant par le Rassemblement national, s’est uni comme jamais. "Jamais un budget n’aurait été battu de cette manière", a écrit Eric Coquerel sur X. Et il a raison. Ce n’est pas une opposition classique. C’est une dénonciation du processus lui-même.
Le budget, un miroir du pouvoir ébranlé
Le gouvernement d’Emmanuel Macron n’a jamais eu de majorité absolue. Mais ce vote révèle quelque chose de plus profond : il est devenu ultra-minoritaire. Pas seulement parce qu’il manque de voix, mais parce qu’il ne parvient plus à faire valoir un projet crédible. "Le budget est inapplicable en l’état", a déclaré Philippe Juvin, rapporteur général de la droite, en soulignant les taxes qui étouffent les entreprises. Et pourtant, ce n’est pas un budget de droite ou de gauche qu’on a rejeté — c’est un budget de l’impossible.Marine Le Pen a immédiatement saisi l’occasion : "La force de ce rejet ne peut avoir qu’une conclusion : la démission du gouvernement et la dissolution." Un appel à la rupture, mais aussi une mise en garde. Si les députés ne veulent plus de ce texte, c’est que le lien entre le pouvoir exécutif et la représentation nationale est rompu. Et ce n’est pas un problème technique. C’est un problème de légitimité.
Le Sénat, dernier espoir ou nouveau champ de bataille ?
Désormais, le texte va être transmis au Sénat dans sa version initiale — sans amendement, sans compromis. C’est une procédure rare, mais prévue par la Constitution. Le Sénat, plus conservateur, pourrait le modifier. Mais il n’a pas la main sur le budget : il peut seulement proposer des amendements. La balle revient à l’Assemblée en décembre. Et là, le calendrier devient un cauchemar.La loi exige que le budget soit adopté avant le 31 décembre. Soit moins de six semaines pour négocier, réécrire, convaincre. Et avec un climat aussi tendu, la possibilité d’un blocage total est réelle. Si les deux chambres ne s’accordent pas, le gouvernement pourrait être contraint de recourir à l’article 49.3 — ce qui déclencherait une motion de censure. Et là, la crise serait ouverte.
Les raisons du rejet : taxes, méfiance et désunion
Les députés n’ont pas rejeté le budget parce qu’il était trop cher. Ils l’ont rejeté parce qu’il était incohérent. Les impôts sur les entreprises, les mesures de réduction des déficits, les recettes fiscales — tout était aligné sur un schéma qui ne correspond plus à la réalité économique. Les PME craignent une surcharge. Les ménages, une hausse indirecte de la TVA. Et surtout, personne ne croit plus que ce texte vient d’un dialogue. Il vient d’un bureau à Bercy, d’un cabinet présidentiel, d’un ministère qui ne parle plus à la France.La séance a duré cinq jours. Plus de 125 heures. Les députés ont travaillé jusqu’à l’aube. Ils ont étudié chaque ligne. Et au final, ils ont dit non. Pas par idéologie. Par désespoir.
Que se passe-t-il maintenant ?
Le gouvernement a deux options : soit il revient avec un texte radicalement différent — ce qui implique de repartir de zéro, avec des négociations impossibles entre les partis — soit il tente de forcer le passage avec l’article 49.3. La première option est politique. La seconde, constitutionnelle. Mais les deux sont risquées.Et si le Sénat adopte une version différente ? L’Assemblée pourrait la rejeter à nouveau. Et si la motion de censure est déposée ? Le gouvernement tomberait. Et alors ? Qui prendrait la relève ?
La France ne connaît pas cette situation depuis 1986. Et même là, il s’agissait d’une cohabitation. Là, c’est pire : un président sans majorité, un gouvernement sans crédibilité, une Assemblée sans unité. Et un budget qui ne passe pas.
Frequently Asked Questions
Pourquoi ce rejet est-il historique ?
Pour la première fois depuis 1958, la partie "recettes" d’un projet de loi de finances est rejetée en première lecture par l’Assemblée nationale. Aucun budget n’a jamais été battu par une telle majorité (404 contre 1). Ce vote révèle une fracture institutionnelle sans précédent, où même les partis d’opposition se retrouvent unis contre un texte que personne ne reconnaît comme le leur.
Qui a voté pour le budget et pourquoi ?
Seul Harold Huwart, député du groupe LIOT, a voté en faveur du texte. Il a justifié son vote par un appel à la responsabilité : "Je veux un budget pour la France." Son vote isolé a été perçu comme une provocation, soulignant l’absurdité d’un texte adopté article par article, mais rejeté dans son ensemble. Il a rappelé que 577 députés auraient dû mourir si le ridicule tuait — une métaphore cinglante du désarroi politique.
Quelles sont les conséquences pour le gouvernement Macron ?
Le gouvernement est désormais en état de faiblesse constitutionnelle. Il n’a plus la confiance de l’Assemblée, ni sur les recettes, ni sur les dépenses. La dissolution, demandée par Marine Le Pen, devient une option crédible. Sans majorité, toute réforme est bloquée. Le budget est le test ultime : s’il échoue, le pouvoir exécutif perd toute légitimité pour gouverner.
Le Sénat peut-il sauver ce budget ?
Le Sénat peut proposer des amendements, mais il ne peut pas imposer son texte. Il doit renvoyer le projet à l’Assemblée, qui peut le rejeter à nouveau. Si les deux chambres ne trouvent pas d’accord, le gouvernement peut invoquer l’article 49.3 — ce qui risque de déclencher une motion de censure. Le Sénat n’est pas un sauveur : il est un nouveau champ de bataille, avec moins de temps, plus de pression et une impasse probable.
Qu’est-ce qui pourrait empêcher l’adoption du budget avant le 31 décembre ?
Plusieurs facteurs : un blocage entre les deux chambres, une motion de censure réussie, ou un refus de l’Assemblée de voter un texte modifié. Si le budget n’est pas adopté, la France entrerait en situation de "règlement par ordonnance" — les dépenses publiques seraient financées au prorata du budget précédent. Ce serait une crise de gestion, avec des impayés pour les fonctionnaires, les retraités et les fournisseurs de l’État.
Pourquoi les députés de Renaissance ont-ils abstenu ?
Ils ont choisi l’abstention pour éviter d’être responsables d’un rejet total. Leur stratégie : ne pas voter contre, mais ne pas soutenir non plus. C’est une forme de désertion politique. Ils ne croient plus au texte, mais ne veulent pas déclencher une crise. Ce silence, plus que le vote, révèle l’effondrement du consensus présidentiel.